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Audrey Pulvar au JDD : “Je veux créer une banque publique d’investissement régionale”

Interview au Journal du Dimanche (JDD) le 5 juin 2023 par Bertrand Gréco – La candidate  Audrey Pulvar, soutenue par Anne Hidalgo, dévoile le volet développement économique de son projet francilien à deux semaines du premier tour des élections régionales.

Sa campagne est émaillée de polémiques : groupes de parole non mixtes à l’Union nationale des étudiants de France (Unef), racisme dans la police, plainte de Gérald Darmanin, départ du maire de Pantin Bertrand Kern, tensions avec la maire de Paris… Mais l’ancienne journaliste reste offensive.

(Bertrand Gréco) Le développement économique est l’une des compétences majeures de la Région. Que proposez-vous en la matière?

(Audrey Pulvar) Notre priorité sera de faire de l’économie sociale et solidaire [ESS] un secteur clé de l’économie francilienne. L’ESS ne doit plus être considérée comme seulement “sympathique”, et ne bénéficier que d’un saupoudrage d’aides anecdotiques. C’est un secteur en pleine expansion, facteur de résilience pour la Région, une réponse aux nécessaires transformations de nos modes de vie, de production et de consommation, face à l’urgence climatique. L’ESS est source de nombreux emplois inclusifs et non délocalisables. C’est aussi le secteur qui a le mieux résisté à la crise que nous traversons, car il privilégie l’humain, le lien social, la proximité.

Comment faire de l’ESS un secteur clé?

Je commencerai par créer une vice-présidence dévolue à l’ESS et correctement dotée. Qu’elle n’existe pas encore est insensé! Il s’agira de soutenir financièrement le secteur, mais aussi d’accompagner la formation des cadres de l’ESS, d’aider au portage de dossiers de demandes de subventions européennes pour les entreprises… Mais le principal outil que je souhaite créer est une banque publique d’investissement régionale, consacrée à la conversion écologique et à l’emploi local. Elle sera dotée de 1 milliard d’euros pendant la mandature, financés pour moitié par la Région, pour moitié par le mécénat de grandes entreprises privées. Je propose aussi la création d’un Livret A régional à rémunération garantie, pour mobiliser l’épargne des Franciliens et la diriger vers des investissements utiles.

Sa première mission sera de soutenir les artisans, les TPE et les PME (…) qui s’engagent dans une démarche écoresponsable, sociale et de production locale

A qui cette banque accorderait-elle des prêts?

Sa première mission sera de soutenir les artisans, les TPE et les PME. D’abord celles et ceux qui s’engagent dans une démarche écoresponsable, sociale et de production locale. Elle pourra aussi épauler les entreprises ponctuellement en difficulté, pour leur éviter la faillite. Ou encore entrer au capital de sociétés quand elles sont menacées par des capitaux étrangers, le temps de contrer le raid. Cette banque régionale sera la pièce maîtresse de notre dispositif. Elle accordera des prêts à taux zéro, un peu sur le modèle de la BPI nationale, mais destinés à la conversion écologique des entreprises et à l’emploi local. Nous entendons ainsi dynamiser le tissu économique de l’Ile-de-France.

Que comprend encore votre “dispositif”?

Je souhaite aussi créer une monnaie locale destinée aux transactions entre les TPE-PME franciliennes, sur le modèle de celle créée par la banque suisse WIR, pendant la crise économique des années 1930, et qui a fait ses preuves. Les prêts aux entreprises se feront dans cette monnaie francilienne, dont nous n’avons pas encore choisi le nom. Je voudrais aussi mettre en place un Commissariat régional au plan, chargé d’orienter les investissements publics vers les secteurs stratégiques, comme l’hydrogène vert ou le photovoltaïque organique, par exemple. La commande publique doit devenir un levier majeur pour promouvoir les entreprises locales, les industries innovantes, l’agriculture francilienne - la première de France -, laquelle a besoin de se transformer pour nourrir la population de la Région.

Vous aviez dévoilé en octobre 2020 votre proposition phare dans le JDD : la gratuité des transports. Avez-vous un peu rétropédalé depuis?

Pas du tout. Je suis toujours déterminée à mettre en œuvre cette mesure très populaire chez les Franciliens, qui est devenue le sujet numéro un de ces régionales, pas seulement en Ile-de-France. Nous avons simplement précisé le calendrier : gratuité pour les moins de 18 ans et les 18-25 ans étudiants ou demandeurs d’emploi dès le 1er septembre 2021 ; pour les personnes âgées et les personnes en situation de handicap, ainsi que les bénéficiaires des minima sociaux en 2022 ; pour tous les demandeurs d’emploi en 2023 ; pour toutes et tous, les week-ends, jours fériés et pendant les vacances scolaires en 2024 ; enfin, pour tous les Franciliens d’ici à 2026. Ma seule interrogation concerne les touristes français. Ethiquement, cela me heurte un peu d’exclure de cette mesure les habitants de Régions autres que l’Ile-de-France mais résidant sur le territoire national… Nous envisageons d’ailleurs des dispositifs spécifiques pour les personnes qui habitent dans des départements voisins et qui travaillent quotidiennement en Ile-de-France sans y résider.

Quand elle sera intégrale, les ressources à trouver s’élèveront, toutes conditions égales à aujourd’hui, à 2,5 milliards d’euros par an

Vos adversaires, y compris à gauche, estiment que cette mesure coûterait trop cher…

La mesure, pour les moins de 18 ans et les 18-25 ans cette année coûtera entre 109 et 117 millions d’euros. C’est largement supportable pour la Région. Quand elle sera intégrale, les ressources à trouver s’élèveront, toutes conditions égales à aujourd’hui, à 2,5 milliards d’euros par an. Mais c’est sans compter les coûts évités en matière d’accidentologie, d’heures de travail perdues dans les embouteillages, de pollution de l’air et d’impact sur la biodiversité. L’évitement d’une partie de ces coûts relativise, à la baisse, le coût total de la mesure. Certes, 2,5 milliards d’euros brut, ça ne se trouve pas sous le sabot d’un cheval, mais cette somme est largement finançable, par une Région dont le PIB s’élève à 670 milliards d’euros par an, soit 31% de la richesse nationale! Nous voulons lancer des assises de la fiscalité régionale, en nous appuyant sur l’article 32 de la toute nouvelle loi climat et résilience, qui prévoit que les collectivités puissent décider elles-mêmes de leur fiscalité écologique. Je prévois également de créer une contribution des grandes plateformes de commerce en ligne, qui ne paient pas leurs impôts en France, comme Amazon. Ainsi qu’une nouvelle contribution des grandes fortunes immobilières - ce qui nécessiterait une modification législative. Je rappelle que la suppression de l’ISF par le gouvernement a privé l’Etat de 3 milliards d’euros de ressources par an dont 1,5 milliard d’euros rien que pour l’Ile-de-France. Aucun de mes détracteurs d’aujourd’hui ne s’en était alors offusqué.

Valérie Pécresse veut récupérer le périphérique - propriété de la Ville de Paris - et organiser un référendum pour demander aux Franciliens s’ils sont pour ou contre le projet de voie réservée pour le covoiturage. Qu’en pensez-vous?

Le récupérer pour en faire quoi? Ce projet de référendum démontre que Valérie Pécresse n’a rien compris à la transition écologique. Elle, qui se prétend écologiste, vit toujours dans l’ancien monde, celui du tout-voiture. Elle veut faire croire que la technologie fera les efforts à notre place. Or, se contenter, par exemple, de remplacer les voitures thermiques par des voitures électriques ne suffira pas, car les véhicules électriques, s’ils polluent moins, ne sont pas neutres écologiquement : il faut aussi engager une profonde transformation de nos modes de déplacement. La Ville de Paris veut réserver une voie du périphérique au covoiturage et à l’autopartage, pour lutter contre l’autosolisme. Tant mieux! Présidente de Région, je mettrai en place la même mesure sur tous les grands axes routiers d’Ile-de-France. Nous allons à la fois améliorer les transports en commun, la multimodalité et encourager les usages les moins polluants de la voiture, quand on ne peut, ou ne veut, pas faire autrement. Que Valérie Pécresse n’ait toujours pas compris que la réduction de la place de l’automobile, en ville, est une nécessité absolue est assez inquiétant.

Il est vrai que j’ai traversé des moments compliqués. Et les difficultés n’ont pas toujours surgi de là où je l’imaginais

Quelles sont vos relations avec Anne Hidalgo? On les dit abîmées…

Nos relations sont bonnes. Anne Hidalgo me soutient, elle est avec moi sur le terrain. Vous savez, les relations humaines sont rarement atones, il y a des moments qui vont bien, d’autres moins bien. C’est la vie.

Le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin a-t-il déposé plainte contre vous, pour “diffamation” de la police, comme il l’avait annoncé?

Je l’ignore. Ce que je sais, c’est qu’il m’a proposé une rencontre, que j’ai accepté sa main tendue dans le cadre d’une discussion républicaine. Mais à condition qu’il dise clairement, avant, qu’il renonce à son intention de porter plainte. Une chose est sûre : je n’irai pas le voir pour m’expliquer, m’excuser ou quémander. Je ne renie aucunement mes propos. J’ai toujours dit que je respecte les forces de l’ordre, que je soutiens les policiers, souvent attaqués, insultés voire, pire, assassinés. Ce qui ne m’empêche pas de déplorer qu’il existe du racisme et de la violence dans la police.

Un ministre de l’Intérieur qui tente d’intimider une opposante à moins d’un mois d’un scrutin majeur(…), c’est un grave dysfonctionnement.

Cette attaque de Gérald Darmanin a-t-elle ressoudé votre famille politique et relancé une campagne qui patinait ? Est-ce une aubaine pour vous ?

Un ministre de l’Intérieur qui tente d’intimider une opposante à moins d’un mois d’un scrutin majeur, dont il est censé assurer la bonne tenue et alors que sa secrétaire d’Etat est candidate aux mêmes élections, sur le même territoire, ce n’est pas une aubaine. C’est un grave dysfonctionnement.

Les sondages ne sont guère encourageants pour vous : 10% dans l’enquête Ifop-Fiducial pour le JDD ; 9% pour OpinionWay-CNews cette semaine ; 12% pour Elabe-BFMTV. Comment espérez-vous rebondir?

Je suis tous les jours, depuis des mois, à la rencontre des Franciliennes et des Franciliens. Je les écoute, je les entends, j’élabore avec elles et eux des solutions à leurs difficultés. Je rencontre de nombreuses associations, des élus, des travailleurs sociaux, des enseignants, des salariés d’usine dont l’emploi est menacé, des agricultrices et des agriculteurs… Je suis tous les matins tôt, avec les militantes et les militants d’Ile-de-France en Commun, dans les gares routières, les gares de RER ou de train, aux arrêts de tramway. Voilà ce qui occupe mon esprit et motive mon combat.

Valérie Pécresse et Laurent Saint-Martin (LREM) vous accusent de ne pas être assez “républicaine” et de sombrer dans “l’islamo-gauchisme”. Que leur répondez-vous?

Que la caricature n’est pas un programme politique. Ces accusations sont grotesques ; un écran de fumée nauséabond, uniquement destiné à masquer l’inanité de leurs propositions.

Une alliance de la gauche au second tour avec Julien Bayou (EELV) et Clémentine Autain (LFI) est-elle acquise ?

J’ai toujours dit que je souhaitais que nous trouvions un chemin pour unir nos forces et battre la droite. Battre Valérie Pécresse est à notre portée. De cela, je ne doute jamais.

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