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La France d’après – Contribution de la Fédération PS des Hauts-de-Seine, Atelier Justice

La Fédération du Parti Socialiste des Hauts-de-Seine a souhaité organiser une réflexion collective des militants pour répondre à l’initiative prise par le Parti socialiste pour réfléchir à la « France d’Après ». 

Cette contribution fédérale n’est pas un aboutissement, mais un point de départ : désormais entre les mains des militants, elle doit vivre et nourrir nos débats. Et cette contribution est aussi notre apport au nécessaire débat à conduire avec nos partenaires de gauche et écologistes pour construire concrètement la « France d’Après ».

Dans cet article, vous retrouvez la contribution de l’Atelier Justice.

La crise sanitaire et l’état d’urgence déclaré n’ont pas seulement révélé les inégalités sociales et le désarmement de l’État, mais aussi l’affaiblissement des libertés publiques et le déséquilibre acquis entre contrôle des individus et préservation de nos libertés.

Il ne s’agit pas ici de s’interroger sur le bien-fondé et la nécessité ou non de la déclaration d’état d’urgence et des mesures de confinement. Les missions de contrôle, parlementaire notamment, apporteront les éléments nécessaires à cette analyse.

Les légitimes préoccupations de santé et inquiétudes réelles pour notre économie, la sécurité sociale des ménages, ne doivent pas étouffer pour autant qu’elles sont essentielles à la sécurité matérielle des Français, l’exigence de notre société de préserver les libertés fondamentales.

Elles sont et demeureront le socle de notre épanouissement en société.

Cette période d’état d’urgence et de confinement imposé a suscité un certain nombre d’inquiétudes que la période de déconfinement et la fin à venir de l’état d’urgence accroissent. 

I – Une société de défiance

Tout d’abord, nous avons constaté que manifestement, tant l’État que les citoyens préféraient le contrôle plutôt que la responsabilité, la répression plutôt que la civilité. Nous sommes entrés, à notre sens, dans une société de défiance, les uns à l’égard des autres, et dans une société dans laquelle il est réalisé une priorité à la sécurité plutôt qu’aux libertés, en évitant malheureusement de les équilibrer.

Il a été opéré un transfert de la protection vers l’État.

Or, l’État a tendance à déresponsabiliser les individus, prétendant agir pour leur bien et l’intérêt général, légitimant ainsi les mesures dites de « protection ».

Cette conception quasi messianique le conduit à « étouffer » les autres pouvoirs (parlementaire, judiciaire, expression de la société civile), y compris dans la durée.

Ce déséquilibre conduit à la renonciation, par les individus et le groupe, à l’exercice de ses libertés et à l’étouffement des droits fondamentaux.

Pierre Délvolvé résume ainsi la situation : « Nous avons ouvert la voie à la servitude ».

II – Un service public de la justice atrophié

En matière de justice, nous avons constaté que la garde des Sceaux et le ministère de la Justice n’ont pas protégé nos libertés, mais bien au contraire, ont accompagné le mouvement policier répressif.

En attestent l’acquiescement systématique de la garde des Sceaux aux mesures prises, l’absence du sujet des libertés publiques dans le débat national au niveau de l’État. Pire, c’est au niveau du ministère de la Justice qu’a été décidé, par une simple circulaire, le renouvellement automatique des détentions provisoires, sans débat ni avocat. L’absence des juges a été, ce faisant, actée.

Cette période a mis également en lumière la tiers-mondisation de la justice.

Depuis plusieurs années, il nous est vendu une « justice 2.0 » pour réduire, en réalité, la place des droits de la défense, la publicité des débats.

Mais la réalité cruelle a été révélée : l’absence de moyens matériels (informatique, logiciel, maintenance…) de la justice, l’absence de formation de ses personnels aux nouveaux moyens.

C’est d’une justice ankylosée dont nous héritons : surcharge de travail (et la grève des avocats et des personnels de justice ces derniers mois l’a nécessairement accrue), absence de moyens et de personnel (greffiers, assistants, magistrats), système informatique obsolète…

Le fonctionnement de la justice ne tient désormais que par certaines bonnes volontés qui temporisent au mieux, mais s’épuisent.

L’activité de la justice s’en est considérablement ressenti, faisant naître des situations non pas seulement injustes, mais des dénis de justice.

La pause de l’activité judiciaire (aussi bien civile, prud’homale, du contentieux administratif) a conduit celle-ci à ne fonctionner qu’en urgence, limitée aux conflits familiaux, violences intraconjugales, référés-libertés devant le juge administratif.

Cette situation ne saurait être tolérée lors de nouvelles périodes de crises à venir.

III – Les libertés étouffées

Nous avons été confronté à un véritable choc constitutionnel lors de cette période : le confinement des libertés, décidé par le Conseil constitutionnel qui a jugé que, durant cette période, il n’effectuerait aucun contrôle de constitutionnalité des lois votées sous l’état d’urgence et des mesures prises en la matière.

Des gardiens des libertés ont été alors tétanisés par le risque sanitaire et l’ignorance. L’absence de sang-froid et la révélation, finalement, que les libertés en France ne sont jamais que la dernière roue du carrosse nous glacent.

Le traitement des libertés au niveau local n’a pas été mieux garanti.

C’est à un véritable concours Lépine qui confirme bien souvent des tendances déjà connues de certains élus locaux auquel nous avons assisté, comme à Nice, Cholet et dans les Hauts-de-Seine, au Plessis-Robinson, avec la multiplication des arrêtés de couvre-feu inutiles, juste pour continuer d’exister et d’entretenir une image d’élu d’autorité.

Ce faisant, on ne saurait considérer que les élus locaux se sont montrés à la hauteur des enjeux de préservation des libertés. Même s’ils n’en sont pas eux-mêmes les garants, force est de constater qu’avec leur pouvoir de police administrative, ils ont contribué, pour certains, à réduire le champ de nos droits.

Durant cette période, le sort des détenus a été traité.

Si nous pouvons constater qu’un gros effort des juges d’application des peines a été réalisé pour accorder des libérations anticipées, permettant de désengorger les prisons, foyers inévitables de contamination du virus pour les détenus et les personnels pénitentiaires, nous assistons, lors du déconfinement, au retour d’un discours sécuritaire bien connu.

Pourtant, ces libérations anticipées ont permis de constater que la surpopulation carcérale n’était pas un phénomène inévitable, que les libérations anticipées n’ont pas créé le désordre craint par tant de populistes.

Ainsi, il nous semble que l’objectif d’encellulement individuel, fixé par une loi de plus d’un siècle (de 1875) et repoussée au 1er janvier 2020 (soit déjà avec un an de retard), est atteignable.

Bien plus, ces libérations et le désengorgement des prisons doivent nous conduire à repenser au sens de la peine pénale et à l’incarcération.

À cet égard, il apparaît nécessaire de reprendre les travaux de la conférence du consensus lancés par Christiane Taubira en 2013 (« Pour une nouvelle politique de la prévention de la récidive »), de les approfondir et surtout, d’appliquer  réellement les propositions contenues et reprises dans des lois.

Il en est de même, s’agissant des étrangers retenus en rétention dont la libération n’a posé aucune difficulté.

Conclusion

Les libertés et droits fondamentaux sont désormais systématiquement hiérarchisés et relégués en deuxième position derrière le droit à la sécurité, la santé publique.

Demain, il est déjà proposé qu’ils régressent derrière la préservation de la biodiversité et de  l’environnement. Il convient pourtant de rappeler avec force que la liberté est la règle, les restrictions des exceptions, qui doivent être strictement nécessaires et proportionnées.

Forts de ces quelques constats, nous émettons sept propositions :

  • Réinvestir le sujet de la défense des libertés plutôt que de le sous-traiter aux associations et à la société civile,
  • Les défendre à tous les niveaux : localement avec nos élus locaux, au sein du parti, en l’élevant au rang de secrétariat national majeur ;
  • S’engager à promouvoir un ministère de la Justice réorienté en soutien des libertés publiques et des droits fondamentaux,
  • Proposer l’amélioration de la formation des agents publics de direction, de l’État et des collectivités territoriales (tout particulièrement des agents contractuels issus de la sphère privée, dénués de cette culture indispensable à la légitimité de l’action publique),
  • Doter par un puissant plan d’équipement, la Justice en moyens matériels nécessaires à l’exercice de ses missions, financé notamment par le redéploiement des crédits destinés à la construction de nouvelles places de prison qui peuvent être abandonnées,
  • Relancer une politique pénale en faveur des alternatives aux peines d’emprisonnement,
  • Inscrire dans l’article 66 de la constitution, le rôle de gardien des libertés publiques et individuelles du juge administratif au côté du juge judiciaire.

Atelier Justice
Coordinatrice : Delphine Krust
Participant·e·s : Nicolas Gatineau et Raoul Marmoz

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