Le 16 septembre 2025, la Cour des comptes a publié le premier rapport annuel des juridictions financières consacré à la transition écologique.
Celui-ci vise à « dresser un état des lieux d’ensemble de l’action publique, tenter d’en évaluer la cohérence et l’efficacité et proposer des recommandations pour accélérer la mise en œuvre de la transition, dans un contexte de finances publiques dégradées ».
A noter que le rapport s’inscrit dans la continuité de son rapport public annuel de 2024 qui était consacré à l’adaptation au changement climatique.
De manière introductive, il convient de rappeler que les engagements pris par la France en matière de transition écologique, qu’ils soient internationaux (protocole de Kyoto de 1997, accord de Paris en 2015), européens (à travers les paquets législatifs énergie climat et le Pacte vert pour l’Europe de 2019) et nationaux (loi “Climat et résilience” de 2021), nécessitent un suivi annuel. Le rapport synthétisé dans cet article entend contribuer à cette évaluation annuelle.
Les magistrats font état de trois constats.
Des progrès réels, mais qui sont encore insuffisants
Pour mémoire, la France s’est engagée, comme Etat membre de l’Union européenne -paquet législatif 2021 de la Commission européenne-, à réduire de 55% ses émissions de GES d’ici 2030, et à atteindre la neutralité carbone en 2050.
La Cour note que résultats positifs sont observables : la diminution de plus de 30% depuis 1990 des émissions de GES, le recul de plusieurs polluants atmosphériques ainsi que la mise en place de politiques structurantes dans le domaine de l’eau et des déchets.
Toutefois, ces progrès demeurent insuffisants. D’abord, l’empreinte carbone totale de la France est en hausse -du fait notamment de la progression des émissions “importées”, c’est-à-dire causées par la consommation de biens produits à l’étranger et importés en France. Ensuite, le déclin de la biodiversité se poursuit et le volume de déchets augmente. De plus, les politiques d’adaptation au changement climatique sont peu nombreuses mais les conséquences sont bel et bien visibles (canicules, inondations, sécheresses).
C’est la raison pour laquelle les magistrats proposent de fixer des objectifs chiffrés de réduction de l’empreinte carbone dans la Stratégie nationale bas carbone. C’est une feuille de route nationale visant à satisfaire les objectifs de lutte contre le changement climatique. Ces objectifs chiffrés seraient déclinés par secteur, afin de mieux visualiser
l’impact environnemental réel de la France.
Des leviers d’action publique multiples, mais encore trop dispersés
Pour la Cour, les politiques publiques « manquent encore de clarté, de cohérence et de pilotage efficace ». Rien que ça…
Sur le plan étatique, les magistrats notent notamment les évolutions permises par la création en 2022 du Secrétariat général à la planification écologique. C’est une institution rattachée au Premier ministre, qui a permis d’élaborer une feuille de route bas-carbone et de coordonner l’action interministérielle.
Mais sa réelle influence est critiquée par certains auteurs -et le constat est implicitement partagé par les magistrats-. En effet, face au contexte international (guerres et tensions) et national (crise budgétaire), l’influence de cette institution sur la prise de décisions est devenue marginale. C’est notamment le propos de Vincent Spenlehauer, ancien directeur du pôle de formation à l’action publique à l’Ecole Nationale des Ponts et Chaussées. Selon lui, cette structure ne compte qu’une trentaine de personnes, quand le Commissariat général du plan des années 60 en comptait plus de 150. Aussi, son influence dépend des orientations politiques du Premier, selon que celui-ci soit plus ou moins sensible aux questions environnementales et de transition.
La proposition faite par les magistrats de conforter l’action de cette institution doit donc être questionnée, compte tenu des réserves que l’on vient de souligner.
Sur le plan territorial, les collectivités locales jouent un rôle prééminent, mais il y a un manque de convergence entre les objectifs nationaux et les dynamiques locales.
Pour ce faire, la « territorialisation de la planification écologique » est envisagée par la Cour. Elle se caractériserait par diverses mesures. D’une part, un renforcement des COP régionales, car qui de mieux que les territoires eux-mêmes pour définir les mesures locales d’adaptation qui doivent être prises ? D’autre part, une utilisation des plans pluriannuels d’investissement des collectivités (PPI) afin de coordonner les trajectoires financières avec les documents d’urbanisme locaux.
Un effort de financement croissant, mais qui doit être mieux planifié
S’agissant du financement de la transition écologique, des mesures ont été mises en place. Premièrement, depuis 2020, un rapport sur l’impact environnemental du budget de l’Etat est annexé au projet de loi de finances. Deuxièmement, la première stratégie pluriannuelle des financements de la transition écologique a été publiée en 2024. Cette dernière répertorie les financements réalisés par les acteurs économiques en faveur de la transition écologique. Elle présente deux choses : à la fois des leviers d’actions pour agir (sobriété des usages, verdissement des dépenses), et à la fois des outils concrets (faut-il taxer, faut-il réglementer, ou faut-il même subventionner).
En ce sens, la Cour propose de présenter cette stratégie pluriannuelle en amont du débat sur la loi de finances, afin d’orienter les choix d’investissements de long terme.
Pour atteindre la neutralité carbone d’ici 2050, les besoins financiers sont de l’ordre de 200 milliards d’euros par an -sans compter les financements nécessaires aux autres volets de la transition écologique-. Or, le budget annuel de la France s’élève à 100 milliards.
Les magistrats ont conscience que, dans le contexte financier actuel, la mise en œuvre de la transition écologique reposera surtout sur les investissements privés, lesquels s’élèvent déjà à 80%. Mais l’important, et cela constitue une de leur proposition, est d’identifier précisément la capacité financière de ces acteurs privés. Et cela pour deux raisons. D’abord, pour équilibrer les charges entre eux, et donc éviter que les mêmes entreprises soient toujours mises à contribution en dépit d’autres. Ensuite, pour mettre en place des soutiens publics en cas de nécessité.
Le coût de l’inaction est supérieur à celui de la transition
Mais ce qui est peut-être le principal constat de ce rapport, c’est que le coût de l’inaction est supérieur à celui de la transition. En d’autres termes, investir pour la transition est financièrement bénéfique sur le moyen et long terme. Ce dernier point n’est pas sans faire écho à l’étude annuelle 2025 du Conseil d’Etat qui encourage à « Inscrire l’action publique dans le temps long ».
Les nombreuses catastrophes climatiques qu’a connu la France coûtent très cher –plus de 300 milliards d’euros en 2024 selon les estimations des réassureurs mondiaux-. Et les projections montrent que ce coût annuel pourrait presque doubler d’ici 2050.
La Cour s’appuie sur les chiffres du Réseau mondial des banques centrales (NGFS) qui affirme que l’inaction ferait perdre, en France, 11,4 points de PIB d’ici 2050 contre 7 points avec des actions en faveur de la transition écologique.
La transition écologique est en fait une politique publique transversale, qui doit irriguer toutes les autres, dans tous les domaines et à toutes les échelles. D’où la volonté de la Cour de faire de ce rapport « un document annuel de référence » afin d’éclairer les décideurs et le public.
Julie RIOU, Permanente fédérale
Bibliographie :
La transition écologique | Cour des comptes
Le rapport public annuel 2024 | Cour des comptes
Ajustement à l’objectif 55 – Consilium
La planification écologique est-elle en péril ?