« Ces lignes s’adressent d’abord aux jeunes, parvenus à l’âge adulte avec le tournant du siècle, et qui n’ont pas connu ces évènements. Elles sont aussi destinées à leurs aînés, qui ont vécu cette période, mais l’ont peut-être effacée de leur mémoire. Il y a vingt ans, la Nouvelle-Calédonie, était au bord de la guerre civile. Et la France courait le risque de s’y trouver engagée dans une nouvelle aventure coloniale. Pour des socialistes de notre génération […], il y avait là un enjeu et un défi majeurs : ramener la paix, retisser les liens de la confiance et engager un mouvement de décolonisation pacifique et viable. »
C’est par ces « lignes » parues dans Le Monde le 26 juin 2008 que Michel Rocard et Lionel Jospin ouvraient une tribune commémorant les accords de Matignon (26 juin 1988) et de Nouméa (5 mai 1998).
Depuis bientôt une semaine, la Nouvelle-Calédonie connaît un nouvel embrasement, une situation qualifiée d’« insurrectionnelle » par le Haut-Commissaire de la République. Plus de vingt ans après les accords de Nouméa qui avaient rétabli les « liens de la confiance » entre l’Etat et les partis politiques calédoniens, ces évènements ravivent les souvenirs douloureux de la quasi- « guerre civile » qui avait déchiré le territoire entre 1984 et 1988.
Ramener la paix
Socialistes, nous avons fermement condamné les violences de tous bords, qui ne sauraient répondre aux enjeux et défis majeurs pour l’avenir de la Nouvelle-Calédonie. Nous exprimons notre solidarité et témoignons de notre soutien aux familles des six victimes décédées depuis le début des évènements, aux centaines de blessés, aux forces de l’ordre mobilisées, ainsi qu’à l’ensemble des Calédoniens et leurs proches.
Socialistes, nous savons que le consensus a toujours été la clé de voûte des discussions et accords en Nouvelle-Calédonie, et nous défendons la tradition rocardienne de dialogue et l’héritage des accords de Nouméa puis de Matignon.
Aussi, le gouvernement, au-delà du rétablissement de l’ordre républicain par le dialogue et l’écoute, doit s’interroger sur les raisons de la colère, et retrouver sa neutralité dans la gestion du dossier calédonien. Il s’agit d’une condition indispensable au retour durable de la paix dans le territoire.
Retisser les liens de la confiance
En effet, c’est l’esprit du dialogue apaisé entre les partis “indépendantistes” et “loyalistes”, et la neutralité de l’Etat dans ce processus, qui a permis la construction du « destin commun » et la normalisation des liens institutionnels entre la Nouvelle-Calédonie et la France, sanctuarisée par les accords de Matignon et Nouméa, initiés par le Parti Socialiste à travers Michel Rocard et Lionel Jospin.
L’accord de Nouméa prévoyait notamment un transfert des compétences de l’État au territoire, ainsi que l’organisation de trois référendums sur l’indépendance de l’archipel, donnant le choix aux Calédoniens de déterminer le futur du territoire : l’accès à la pleine souveraineté et à l’indépendance ou un statut spécifique au sein de la France.
En 2018 et 2020, les deux premiers référendums ont abouti à une courte majorité pour le « non » à l’indépendance, avec une progression du « oui » (56,7 % en 2018 et 53,3 % en 2020), dans un contexte de forte participation (plus de 80% en 2018 et plus de 85% en 2020).
En 2021, le troisième et dernier référendum a été organisé en pleine pandémie de Covid-19 dans l’archipel. S’il a vu une victoire massive du « non » (96,5%), il a été marqué par une abstention record (56,1%). En effet les partis indépendantistes ont très tôt fait part de leurs réticences quant à l’organisation du scrutin dans le contexte sanitaire, puis, alors qu’Emmanuel Macron persistait à maintenir la date du référendum, ont finalement appelé au boycott, dans le respect de la période de deuil prolongé des familles Kanak durement touchées par la pandémie.
D’autre part, alors que les présidents et ministres successifs s’étaient toujours astreints depuis les accords à l’impartialité sur leur position entre loyalisme et indépendantisme, afin de respecter pleinement le processus, Emmanuel Macron se déclarait en faveur du « non » six mois avant le premier référendum, abîmant durablement les fils de la confiance tissés entre l’État et les partis politiques indépendantistes.
Ces prises de positions et de décisions unilatérales de la part du Président de la République et ses gouvernements ont abouti à une rupture nette dans le dialogue entre la France et la Nouvelle-Calédonie et à l’esprit de concorde des accords de Matignon et de Nouméa, pourtant jusqu’ici respecté par les gouvernements successifs, malgré les alternances politiques.
Enfin, début mai 2024, le gouvernement et le Président de la République sont passés en force sur la révision constitutionnelle qui prévoit notamment le dégel du corps électoral calédonien, votée par le Parlement alors même que les discussions entre l’Etat et les partis politiques calédoniens étaient interrompues sur cette question. Les groupes parlementaires socialistes ont vivement dénoncés cette méthode, en rupture avec la tradition de dialogue et de consensus qui prévalaient jusqu’alors.
Engager un mouvement de décolonisation pacifique et viable
Il est ainsi manifeste que des erreurs successives ont été commises et des décisions unilatérales ont été prises par Emmanuel Macron sur le dossier calédonien, qui n’a somme toute pas été compris depuis 2017. Le Président de la République et ses ministres, en renonçant à la tradition rocardienne de dialogue et d’impartialité, ont failli à leur mission de conserver la paix en Nouvelle-Calédonie.
Ces erreurs se manifestent clairement à l’occasion de cette réforme constitutionnelle. Le Parti Socialiste a instamment demandé au Président de la République de suspendre tout processus de réforme constitutionnelle, en renonçant à réunir le congrès. La majorité des parlementaires français a par ailleurs demandé une mise en “pause” de la réforme. Il s’agirait là d’un geste fort d’apaisement, qui permettrait de retrouver le chemin du dialogue entre l’Etat et la Nouvelle-Calédonie.
D’autre part, ces décisions unilatérales doivent nous interroger sur la persistance d’un fait colonial en Nouvelle-Calédonie. Nous devons notamment prêter attention et être vigilants quant au respect des revendications du peuple Kanak, qui souffrent de trop nombreuses inégalités, et plus généralement aux inégalités sociales qui frappent durement l’archipel.
Socialistes, nous devons en effet vivement appeler à la recherche d’un nouveau projet institutionnel, mais aussi social pour la Nouvelle-Calédonie. Celui-ci devra impérativement comporter une véritable politique de lutte contre les inégalités et répondre aux urgences alimentaires, sanitaires et sociales. En 2020, un Calédonien sur cinq vivait sous le seuil de pauvreté, dont plus des deux tiers dans la province Nord et les îles Loyautés. En 2023, les prix à la consommation étaient en moyenne plus élevés de 31 % par rapport aux prix de la métropole. Enfin, les Kanak souffrent d’inégalités par rapport au reste de la population, avec par exemple un taux de chômage nettement plus élevé en 2022 que l’ensemble des des Calédoniens.
Au-delà de la complexe question institutionnelle, et comme l’écrivaient déjà Michel Rocard et Lionel Jospin, il faut donc engager un véritable “mouvement de décolonisation pacifique et viable” en Nouvelle-Calédonie, c’est-à-dire la recherche de ce consensus qui a déjà fait ses preuves par le passé, et qui doit permettre à chacun des Calédoniens, de voir ses positions exprimées et prises en compte, mais aussi de lutter contre les inégalités pour un futur juste et durable. Pour revenir sur ces chemins du « destin commun », l’Etat doit retrouver sa neutralité et permettre aux habitants de la Nouvelle-Calédonie de décider eux-mêmes de leur avenir. Le Parti Socialiste doit ainsi défendre avec humilité la poursuite équitable du processus d’auto-détermination de la Nouvelle-Calédonie, qui doit aboutir à un chemin commun, à un futur apaisé et juste pour tous les Calédoniens.
Un texte de Julien – Jeune socialiste du 92